CARTE BLANCHE contre le projet de réforme du code pénal

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Le code pénal fait actuellement l’objet d’une volonté de réforme concernant les infractions à caractère
sexuel. Le gouvernement souhaite que ce projet de loi, proposé par le ministre de la justice Vincent Van
Quickenborne, soit approuvé au parlement rapidement avant la Toussaint. Le texte qui est proposé au
parlement a été développé en secret et se révèle un véritable retour en arrière en matière de protection
des enfants et des personnes vulnérables.
Tout d’abord, la rapidité et l’empressement dont font preuve les politiques empêchent une analyse
approfondie et une consultation pourtant indispensables des actrices et acteurs de terrain qui luttent
contre les violences sexistes et pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Ces expert·e·s de terrain,
les plus à même de connaître des thématiques concernées et des défaillances du système judiciaire
auxquelles les victimes sont confrontées., n’ont pas été consulté·e·s. sur ce projet de réforme qui aura
des impacts négatifs énormes sur une large majorité des belges : les femmes et les enfants.
1. Le consentement des victimes
Les associations de terrain réclament depuis longtemps une mise en application stricte d’une véritable
définition du consentement comme celle mobilisée dans le texte de la réforme semble l’être, du moins,
au premier abord. C’est d’ailleurs cette image qui est véhiculée dans la presse à grand public et certain
politique vont jusqu’à prétendre que c’est une évolution importante alors que la définition du
consentement est déjà intégrée dans le système législatif actuel.
La notion de consentement est mobilisée… tout en étant réfutée dans le projet de réforme du Code pénal,
ce qui ne permet pas une protection effective des femmes et des mineur·e·s. Par exemple, le projet de
réforme du Code pénal, en son état actuel, pose pour principe que toute personne ayant atteint l’âge de
seize ans accomplis, est présumée avoir librement donné son consentement (art. 417/6, §1)1
. Cette
manière de penser ne prend pas en compte la position des victimes, souvent démunies face à la difficulté
d’apporter la preuve qu’elles n’ont pas « consenti » aux abus sexuels infligés. Récolter de telles preuves
est encore plus difficile lorsque la plainte est déposée bien après les faits2
, notamment en raison de la de
la crainte de ne pas être crue, de la charge qu’implique les procédures, de la survenance d’une amnésie
traumatique,… L’avant-projet de loi justifie pourtant l’impossibilité d’instaurer un renversement de la
charge de la preuve en raison du fait qu’il risquerait « de favoriser les fausses déclarations et de conduire
à des erreurs judiciaires »
3
. L’avant-projet n’hésite pas à baser son argumentation sur le fait qu’il y aurait
7, 5 % de fausses déclarations en matière de délinquance sexuelle. Que fait-on des 92,5% restants ? 53
% des plaintes pour viol sont classées sans suite4
et seuls 4% des viols aboutissent effectivement à une
condamnation5
. Face à une telle inefficacité de la législation sur ces questions, il est absolument
nécessaire de mettre en place de véritables mécanismes juridiques efficaces.
2. L’inceste
L’inceste devient interdit… mais uniquement aux mineur·e·s. Si la consécration de l’inceste en
infraction est indispensable, il est impensable qu’il ne soit défini qu’à l’égard des mineur·e·s. de moins
de 16 ans accomplis, le consentement étant présumé à partir de cet âge. L’absence de consentement
n’est pas présumée dans ce cas. Il est révoltant de constater qu’un·e enfant·e victime d’inceste, souvent
1 Projet de loi modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel, exposé des motifs, Doc., 19 juillet
2021, n°2141/001, p. 13.
2AMNESTY INTERNATIONAL, « L’accès à la justice pour les victimes de viol », disponible sur
https://www.amnesty.be/campagne/droits-femmes/viol/article/acces-justice-victimes-viol, 4 mars 2020.
3Avant-projet de loi modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel, exposé des motifs, p. 23.
4AMNESTY INTERNATIONAL, « Dossier spécial sur le viol en Belgique », disponible sur
https://www.amnesty.be/campagne/droits-femmes/viol/stop-violences-sexuelles, 4 mars 2020.
5AMNESTY INTERNATIONAL, « Un an de campagne contre le viol : le bilan », disponible sur
https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/campagne-viol-bilan, 8 mars 2021.
Carte blanche
Préparée par les associations de FACES : la Voix des Femmes, le Monde selon les Femmes, le Mouvement pour l’égalité
des Femmes et des Hommes, l'Université des Femmes, le Collectif des Femmes de Louvain-La Neuve et Vie Féminine
Réforme du code pénal
« Un chèque en blanc pour les agresseurs ? »
2
dès son plus jeune âge, et qui continue à l’être après sa majorité, ne sera donc plus considéré·e comme
telle pour les abus subis à l’âge adulte.
3. La charge de la preuve ou l’impossible protection des victimes
Le projet de réforme affirme une meilleure protection des victimes… tout en la rendant inefficace : il
exige certaines conditions qui alourdissent la charge de la preuve pour les victimes, ce qui aura pour
conséquence de rendre impossible leur protection. Évoquons, d’une part, l’hypothèse d’un auteur qui se
trouve dans une position de confiance, d’autorité ou d’influence par rapport à un·e mineur·e (art.
417/21). Par exemple, un membre du personnel d’un établissement d’enseignement, un médecin ou
encore un responsable dans le cadre d’une activité pour jeunes6
. Dans la circonstance où des abus sexuels
ont été rendus possibles en raison précisément de cette position dont jouit l’auteur, l’exposé des motifs
énonce qu’il est nécessaire que l’auteur ait effectivement utilisé sa position7
et il reviendra, à nouveau,
à la victime mineure de le prouver, ce qui est quasi impossible.
D’autre part, le projet de réforme érige en infraction aggravée les actes sexuels non consentis commis à
l’encontre d’une personne vulnérable en raison de son âge, d’un état de grossesse, d’une maladie ou
d’une infirmité physique ou mentale (article 417/15)
8
. Toutefois, l’auteur ne sera poursuivi que dans
le cas où cette situation de vulnérabilité est manifeste ou connue de l’auteur. Comment la victime
pourrait-elle concrètement apporter la preuve que l’auteur connaissait sa situation de vulnérabilité
lorsque celle-ci n’est pas apparente ? Il est possible de prévoir que ces circonstances excluent
nécessairement tout consentement de la victime, ainsi que l’a notamment fait le législateur danois9
.
4. La facilitation du proxénétisme des mineur·e·s et de la traite des personnes
La protection des victimes de traite des êtres humains serait rendue quasiment impossible. En effet,
l’exploitation sexuelle d’une personne majeure est définie par le projet de réforme du Code pénal comme
le fait de rechercher, même avec son consentement, directement ou indirectement, un avantage anormal
économique ou tout autre avantage anormal de la prostitution d’un·e majeur·e (art. 433quater/4)10
. En
sachant que la fixation du seuil d’un profit dit « anormal », en ce qui concerne le proxénétisme
immobilier, donne déjà du fil à retordre aux juges qui se trouvent, souvent, démunis pour évaluer si un
montant est trop élevé ou non11, ce constat s’imposera également en matière d’exploitation de la
prostitution.
Le projet de réforme facilite explicitement la prostitution des adolescent·e·s, renversant la charge
de la preuve : il reviendra à l’enfant ou au Ministère public de prouver que le proxénète ou le client
étaient informés de sa minorité et désireux de commettre l’infraction. Autant dire : mission impossible.
De plus, le projet de loi ne permet quasi plus les condamnations des proxénètes pour traite des
êtres humains et les protections qui en découlent pour les femmes sans papiers. ces dernières se
verront le plus souvent expulsées en cas de dénonciation.
Finalement, ce texte n’est en rien une avancée pour les victimes, les femmes et l’égalité !
6 Projet de loi modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel, exposé des motifs, Doc., 19 juillet
2021, n°2141/001, p. 13.
7 Projet de loi modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel, projet de loi, Doc., 19 juillet 2021,
n°2141/001, p. 163.
8 Projet de loi modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel, projet de loi, Doc., 19 juillet 2021,
n°2141/001, p. 159.
9GREVIO : rapport d’évaluation de référence (Danemark), 24 novembre 2017, p. 51, disponible sur
https://rm.coe.int/premier-rapport-de-reference-du-grevio-sur-le-danemark/16807688bc.
10 Projet de loi modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel, projet de loi, Doc., 19 juillet 2021,
n°2141/001, p. 187.
11 LE SOIR, « Carte blanche (Fondation Samilia) : réduira-t-on à néant 30 ans de lutte contre la traite des êtres
humains ? », disponible sur https://plus.lesoir.be/379808/article/2021-06-22/carte-blanche-reduira-t-neant-30-
ans-de-lutte-contre-la-traite-des-etres-humains, 22 juin 2021.
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Une législation se doit d’être pensée au départ de la situation des victimes12 afin qu’elles puissent, au
plus possible, être protégées par la loi et obtenir justice suite aux violences et traumatismes subis13
.
Au vu de l’ensemble des éléments que nous avons évoqués, nous demandons de geler ce projet de loi.
Une réforme du Code pénal est nécessaire afin de se conformer aux évolutions sociétales. Toutefois,
une réforme adoptée en niant complètement les situations des victimes et les difficultés que celles-ci
sont amenées à rencontrer tout au long de leur parcours procédural est contraire, non seulement au texte
contraignant de la Convention d’Istanbul, mais aussi à la réalité des faits. Cette même Convention
d’Istanbul prévoit pourtant que les Etats signataires sont tenus de prendre des mesures législatives
passibles de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, au regard de leur gravité14
.
Bien au contraire d’une loi égalitaire, c’est bien un texte cosmétique, qui, se parant sous des projets
d’égalité, est en fait misogyne et contraire à tous les progrès effectués ces matières, toutes les
dénonciations sociales et au mouvement #MeToo qui ont été médiatisées ces dernières années, en
constituant un chèque en blanc pour les agresseurs sexuels.
12 Convention d’Istanbul, précitée, art. 7, point 2.
13 Convention d’Istanbul, précitée, art. 5, point 2.
14Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et de la
violence domestique, signée à Istanbul, le 11 mai 2011, approuvée par la loi du 1er mars 2016 , M.B., 9 juin 2016,
art. 45, point 1.